Campbell's et compagnie
Rétrospectivement, on perçoit dans ce processus une parenté à la logique commerciale : la bonne tenue d’un marché requiert un constant renouvellement des produits. Pour autant cela ne doit pas faire oublier la caution intellectuelle qu’il a reçue, qui l’a permis. L’intelligence commerciale a été secondée par l’intelligence théorisante sans laquelle aucune avant-garde artistique ne s’impose. Mais au vu du résultat artistique, il est permis il est permis d’estimer que l’intelligence des critiques d’art fut à la remorque d’une intelligence commerciale de haut vol.
Jean-Philippe Domecq,
Artistes sans art ?
Editions Esprit, Collection Agora, 1994.
Page 158.
La promotion d’Andy Warhol résume le tout. Warhol et Castelli vont se rendre mondialement célèbres l’un l’autre. Le produit de l’un est l’exact reflet de la technique commerciale de l’autre et réciproquement. C’est la rencontre de l’artiste de la consommation et du marchand de l’art de consommation. […]
Castelli ne s’y trompe pas, il ne devient le marchand de Warhol que le jour où il comprend que celui-ci va multiplier, multiplier les bouteilles de Coca-Cola, les figures de stars, les dollars, les boîtes de soupe et de lessive : « Si j’avais vu à ce moment-là la répétition, je me serais dit tout de suite qu’il y avait là quelque chose d’exceptionnel, de très original et de très nouveau. Parce que chez Warhol c’est une chose de base. Sans la répétition, Warhol n’est pas Warhol. » Répétition et accumulation comme valeurs esthétiques. Mais voici le discernement marchand : « L’idée était évidemment d’indiquer par la répétition réelle ou possible que tout cela existait en centaines de milliers d’exemplaires, qu’on pouvait le trouver partout, n’importe où. »[1]
Jean-Philippe Domecq,
Artistes sans art ?
Editions Esprit, Collection Agora, 1994.
Pages 166-167.
Ci-dessus: Andy Warhol, Ten Lizes, 1963. Huile et laque appliquées en sérigraphie sur toile. 201 x 564,5 cm.
Ah, Warhol, toujours celui-là ! Il semble aujourd’hui presque impossible de disserter sur les principes de l’art comme ceux de l’œuvre en passant à côté du travail de ce Businessman. En 1964, Andy Warhol ouvre les portes de ce célèbre atelier nommé Factory qui verra aussi bien naître les créations du pop art que les enregistrements des Velvet Underground. Mi-usine, mi-atelier, espace hybride de création, cette Factory est significative du travail sériel engagé par Warhol ainsi que du but commercial, marchand qu’il lui assigne.
Le principe même de la sérigraphie dont use l’artiste pop remet en cause cette idée d’unicité de l’œuvre d’art. Ce travail bouleverse d’autant plus les critères artistiques de l’époque car Warhol puise sa matière à produire directement à la source iconographique que peuvent représenter les Mass Media américains. Marilyn, Jackie, Basquiat ou Mao (et même la Joconde, décidément partout !) aucune star/célébrité de l’époque n’échappe à Andy. Ils sont tous consommables au même titre qu’une soupe Campbell’s. C’est le produit qui compte, la production. Il faut faire du chiffre ! C’est pourquoi Warhol s’engage dans un travail répétitif, d’accumulation. Si en travaillant plus on gagne plus alors il est certain qu’en produisant plus… on consomme plus et on gagne plus aussi ! Cette idée de la consommation - de l’œuvre et de la culture vues comme produits calibrés, qui affecte la société et le marché actuel – nous vient des Trente Glorieuses, du taylorisme et de toute cette époque qui a su faire naître en nous ce besoin continuel de combler notre manque de savoir et le vide qui nous anime par l’achat, bien trop souvent compulsif.
Keith Haring a su exploiter ce filon en créant sa propre boutique, le Pop Shop, où il vendait toute sorte de produits dérivés allant des chaussettes à l’imprimé jaune au bol à céréales, sans oublier bien sûr l’indispensable parapluie.
Si vous souhaitez profiter de tous ces gadgets, c’est par là : http://www.pop-shop.com/
Et puisqu’il y a marché, il y a aussi concurrence… vous avez aussi la possibilité d’acquérir une « véritable œuvre d’art » dans le Ben Baz’art, et ceci pour la modique somme de 50 €, à ce prix là c’est sûr que ce serait bête de s’en priver. C’est Adorno qui aurait aimé ça !
(Et enfin, pour ceux intéressés par Warhol, n’oubliez pas qu’il règne sur le rayon encadrement chez Ikéa).
[1] Claude Berri rencontre Leo Castelli.